La nuit du Mouloud au Méchouar de Tlemcen

– Mohammed Baghli    Ingénieur-Consultant

Le Méchouar de Tlemcen était d’abord l’espace où le cheval était élevé et où les caravanes trouvaient des montures fraîches pour les expéditions, soit vers l’Est, soit vers l’Ouest et l’Andalousie, soit vers le Grand Sud aux pays du Touât et du Sawdân.

Ce nom de lieu correspond à une terminologie spécifique du lieu où les étalons de chevaux sont élevés. Da Ghamrâcen commença son règne un dimanche 4 octobre 1230  (24 dhûl-Qi’da 627H) (633-681H/1236-1283 J.-C.).

Il déplaça le siège du royaume qu’il venait d’ériger, du vieux palais de Tagrart, près de la Grande Mosquée de Tlemcen, vers le Méchouar plus au sud, où ce nom de lieu existait déjà.
Il y éleva son palais «Dar Al-Moulk» au milieu de jardins devenus célèbres, pour ses fleurs, pour ses citronniers, pour ses orangers et pour ses arbres le long de ses promenades.
De nombreuses fontaines d’eau fraîche en perpétuel écoulement s’incrustaient dans cet écrin de parfums et de ruissellement.
Da Ghamrâcen avait acquis un exemplaire du Coran de ‘Othmân Ibn ‘Affân, le quatrième khalife de l’Islam qui constituait un des joyaux de son nouveau royaume.
Cet exemplaire du Coran bénéficiera d’un coffre transportable lui assurant sécurité et présentoir.
Abou Hammou Moussa Ier (1308-1318) éleva avec le concours de représentants de toutes les tribus du Maghreb central la mosquée d’Al-Méchouar et la rehaussa du superbe minaret, seul témoin de l’époque encore présent.
La mosquée du Méchouar a été construite comme un symbole pouvant rassembler toutes les tribus du Maghreb central ayant répondu à l’invitation de Abou Hammou Moussa Ier.
Si ‘Abderrahmane Ibn Khaldoun a jugé ce regroupement comme une prison dorée pour les rivaux potentiels d’Abou Hammou Ier, on peut considérer aussi ce regroupement comme le premier parlement du Maghreb central par le message incrusté dans une des faces du minaret.

Plusieurs chercheurs sont restés méditatifs devant l’énigme de l’inscription sur le panneau carré de la façade orientale du minaret de cette mosquée du Méchouar : «Al-Youmn wal Iqbâl yâ Thiqatî yâ Amalî ! Anta Erradjâ, Anta al-Walî. Akhtim bi Khaïrin ‘amalî » – Le Bonheur et le Succès Ô ma Confiance ! Ô mon Espérance ! C’est Toi l’Espoir, c’est Toi le Protecteur ! Scelle mes actions par le Bien !

Ce minaret est le seul témoin du Méchouar depuis près de sept siècles de tout un legs que Tlemcen a développé au coeur de l’Occident musulman et de la Méditerranée occidentale. De ce point partaient annuellement les caravanes vers La Mecque ainsi que les caravanes commerciales qui prenaient la direction des ksour de la Saoura et du Touat jusqu’aux abords du fleuve Sénégal.
En 2018, l’Algérie pourra célébrer en ces lieux le septième centenaire de l’événement fondateur du Maghreb central et de l’Algérie.
Devant ce minaret sont passés tous les rois des Banî Ziyân, les responsables des garnisons turques. L’Emir Abdel-Qâder s’est retiré dans cette mosquée durant tout son séjour à Tlemcen.

Abou Tâshfîn 1er (692-737H/1293-1337) élèvera deux autres constructions au Méchouar «Dar es-Sourour» et «Dar Abî-Fihr».
Il s’agit de deux édifices célèbres qui ont attiré l’attention des chroniqueurs de l’époque sans que des détails ne nous soient précisés sur leurs activités d’art et de loisir.
«Dar Abî-Fihr» faisait référence au vaste domaine d’Abî-Fihr créé par
Al-Muntasir (647-675H/1249-1277 J.-C.) aux environs de sa capitale
des Hafsides près du village actuel de l’Ariana. Il comporte des éléments qui faisaient prévoir la mode maghrébine des «agdâl»

«On y voyait, disait Ibn Khaldoun, une forêt d’arbres, dont une partie
servait à garnir des treillages, pendant que le reste croissait en toute liberté.
Le citronnier et l’oranger mêlaient leurs branches à celles du cyprès, tandis que plus bas le myrte et le jasmin souriaient au nénuphar. Au milieu de ces bosquets, un grand jardin servait de ceinture à un bassin étendu qu’on eût dit une mer. L’eau y arrivait par l’ancien aqueduc qui jadis alimentait Carthage et que le Hafside Al-Mustansir avait fait réparer.»

Abou Tâshfîn 1er «se plaisait à faire construire des maisons, blanchir des palais, élever des édifices, planter d’arbres les promenades… Il était d’un esprit très ingénieux, bon designer autant qu’habile mouhandess…».

«A l’époque d’Abou Tâshfin 1er, l’Etat abdelwâdide a connu l’apogée de son épanouissement. Les arts et métiers se sont développés, les constructions se sont multipliées.

Le Maghreb central acquit ainsi une grande avance dans la civilisation.

En effet, Abou Tâshfine 1er avait un penchant pour les arts et les constructions et était attiré par les plaisirs et les réjouissances de la vie, ce qui l’a amené à construire et à décorer de nombreux édifices»

Il avait réalisé un automate en deux exemplaires : l’un en apparat dans son palais du Méchouar, l’autre en pièce rare dans sa médersa Et-Tachfîniyya qu’il fit élever entre la Grande Mosquée et le Méchouar.

Abou Hammou Moussa II (760-791H/1359-1389) réalisa un second palais «Dar Al-Fath» où il organisa ses célèbres réceptions à l’occasion de la célébration des nuits du Mouloud.

A la fin du règne des Bani Ziyân, un témoin particulier séjourna dans ce palais et, sous le pseudonyme de «Léon l’Africain», il décrira plus tard quelques particularités de ce palais en passant sous silence nombre de détails sur les coutumes et sur l’organisation de ceux qui vivaient dans ce palais.

Nous retenons cependant cette description : «Au sud de la ville, le palais royal est entouré de murailles extrêmement hautes, à la manière d’une forteresse, et qui renferment d’autres petits palais avec leurs jardins et leurs fontaines.» Tous sont d’une construction très soignée, avec une excellente architecture. Ce palais royal a deux portes, l’une qui donne sur la campagne vis-à-vis de la montagne ; l’autre à l’intérieur de la ville, où se tient le capitaine de garde.»

Ainsi, durant plus de trois siècles, le Méchouar a servi de matrice au processus de formation de l’entité algérienne dans sa dimension berbéro-arabo-musulmane et dans ses principes d’indépendance et de développement continu.

La nuit du Mouloud était célébrée au Méchouar avec une splendeur et un éclat inaccoutumés dans le monde, avant de devenir une fête populaire dont la tradition s’est transmise de génération en génération à Tlemcen et surtout dans le Touat où émigrèrent les Tlemcéniens lors de la chute des Zyanides au XVIe siècle.

Une réception grandiose était donnée la nuit du 11 au 12 de Rabi’ Al-Awwal dans un des palais du Méchouar.

Une profusion de coussins, de divans et de tapis garnissait l’immense salle d’apparat.

Des candélabres se dressaient de proche en proche, pareils à des colonnes dressées sur des socles de cuivre doré. Chaque invité avait sa place fixée. Il y avait aussi bien de braves gens du peuple que des commerçants, des artisans, des étudiants et des notables.

Des pages revêtus de tuniques aux couleurs variées circulaient parmi les convives.

Tantôt ils promenaient des cassolettes et des encensoirs d’où des fumées d’ambre gris répandaient des nuages dans l’atmosphère et emplissaient les narines des assistants, tantôt ils aspergeaient d’eau de rose de sorte que chacun en eût sa part de plaisir.

Les tables par leur éclat et forme ressemblaient à des lunes. Les plats étaient pris pour des parterres fleuris.

Leur vue était un régal pour les yeux et leur parfum un délice pour l’odorat.

Après quoi venaient les plus beaux fruits qui puissent se voir, et enfin les gâteaux.

Le Roi, assis au milieu de la salle, sur son trône, les jambes croisées, gardait le silence et l’immobilité qui sied à un monarque.

Dans l’intervalle des heures, on procédait à la récitation d’abord du poème composé par le Roi.

Un héraut, choisi pour la douceur de sa voix, se plaçait sur une estrade vis à vis du monarque et récitait ou chantait le poème en faisant sentir la mesure.

Puis venaient les poèmes composés par les poètes de la cour et où chacun rivalisait d’éloquence et d’habileté à la gloire du Prophète.

Parmi ceux qui ont déclamé des poèmes mémorables en l’honneur de cette nuit du Mouloud, nous pouvons citer : Sidi Mohammed ben Youcef Al-Quîssî ; Al-Hadj Aby-Abdallah ben Aby-Djam’a et-Talâlissî, le médecin du Palais ; Abou Zakarya Yah’ia Ibn Khaldoun ; Aby-Mohammed ‘Abdel Moumen Ibn Moussa Al-Madyounî ; Abou ‘Abdallah Mohammed Ibn Ahmed Ibn Ya’lâ ; Aboul-Hassen ‘Ali Ibn Al ‘Attâr ; Aboul-Quacem Ibnou Maymoun Es-Senouci ; Abou ‘Abdallah Mohammed Al-Battîoui ; etc.

Un orchestre où se distinguaient les mesures du karîdj -viole – de Séville exécutait des airs de mélodies andalouses dans les intermèdes.

L’objet de curiosité à tous était le coffre de la Magana qui était orné de figures d’argent d’un travail très ingénieux.

Sur le plan supérieur de l’appareil, s’élevait un buisson sur lequel était perché un oiseau avec ses deux petits sous les ailes.

Un serpent, sortant de son repaire situé au pied de l’arbuste, grimpait lentement vers cet oiseau, pour s’emparer des petits. Sur la partie antérieure, il y avait dix portes, autant que l’on compte d’heures dans la nuit.

A chaque heure, une de ces portes tremblait et faisait entendre un frémissement aux deux extrémités latérales où se trouvaient deux autres portes plus hautes et plus  larges que les autres.

Au-dessus de toutes ces portes et près de la corniche, l’on voyait le globe de la lune qui se mouvait sur une trajectoire et représentait exactement la marche naturelle que cet astre suivait alors dans la sphère céleste pendant cette nuit.

Au commencement de chaque heure, au moment où la porte qui la représentait, se trouvant placée au centre, faisait entendre son frémissement, deux aigles sortaient tout à coup par les deux grandes portes, chacun d’eux tenant à son bec un poids de cuivre, qu’ils laissaient tomber avec eux dans un bassin en cuivre.

Ces poids entraient par un trou qui était pratiqué dans le milieu du bassin et roulaient dans l’intérieur de l’horloge.

Alors le serpent, qui, parvenu au haut du buisson, poussait un sifflement aigu et mordait l’un des petits oiseaux, malgré les cris du père.

A ce moment, la porte, indiquant l’heure qui se terminait s’ouvrait toute seule, il en sortait une jeune fille, à la taille prise dans une ceinture, aussi gracieuse qu’il se puisse voir.

De la main droite, elle présentait un feuillet où le nom de l’heure se lisait à travers une petite pièce écrite en vers ; la main gauche, elle la tenait placée sur sa bouche comme pour saluer.

Cette horloge était l’oeuvre de l’ingénieur en automates de l’époque, le très célèbre Aboul-Hassan Ali ben Ahmad Ibn Al-Fahhâm qui fut le plus savant de son temps dans les sciences mathématiques, féru de géométrie et de mécanique, formé
à l’école d’Ibn en-Nejjar et qui avait déjà réalisé aussi l’horloge d’Abou ‘Inân à Fez dont on voit encore les vestiges sur les murs qui font face à la médersa Al-Bou’naniyya.

Il fut récompensé par les rois de ces pays, qui lui servirent une rente de mille dinars en or, fournie par les gouverneurs des provinces.

Ce n’est qu’après avoir présidé à la prière en commun du fadjr dans la mosquée du Méchouar, que le Roi se retirait dans ses appartements.

BAGHLI Mohammed ben Ahmed

Ingénieur-Consultant