Moufdi Zakaria à Tlemcen
Par Mohammed Baghli
Ingénieur-Consultant en Patrimoine Immatériel
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6-10 Septembre 1935 : Au cinquième Congrès de l’Assaciation des Etudiants Nord-Africains Musulmans (AEMNA)
Les autorités de l’époque s’étaient invitées à l’ouverture du Congrès pour passer leur message par la voix du Maire de Tlemcen dans la salle des fêtes de la Mairie.
Cette Salle se dressait en lieu et place de l’ancienne Médersa Et-Techfîniyya, qui s’étendait entre la Grande Mosquée de la ville et la Muraille-Nord du Méchouar, et qui fût complètement détruite en 1873 pour y ériger un mairie coloniale et une Place pour le Bal du 14 Juillet de chaque année, en face des principales sorties de la Grande Mosquée.
Elle était l’une des cinq plus célèbres médersas de Tlemcen.
La Médersa Techfîniyya s’appelait aussi Médersa du Grand Palais et fût inaugurée en 720H/G1320 par un cours célèbre de l’Imam Savant de l’époque Aby-Moussa ‘Imrân Al-Mecheddâly, mort en 745H /G1344.
Cette Médersa était un joyau en son genre et fût appelé aussi la « Nouvelle Medersa »
Et voilà qu’en ce 6 Septembre 1935, des étudiants maghrébins reprenaient leur place dans une de leurs Universités d’antan.
Ils sont venus de la Zeitouna de Tunis, de la Quaraouiyyine de Fès, d’Alger, de Constantine, de Béjaïa, de Biskra, même s’ils se sont retrouvés dans des Universités de France ou d’Alger, Rabat ou Tunis.
La délégation tunisienne, présidée par M. Habib Thameur, comprenait MM. Allal Belahouène, Al-Moundji Slim, les Professeurs En-Nîfer et Othmân Al-Kaâk
La délégation marocaine était présidée par Abdal-Khalaq Torrès, représentant personnel de M. Allal Al-Fâssaî – qui avait offert son intervention en poème pour la séance d’ouverture- et comprenait M. Mohammed Ibrahim Al-Kettânî et d’autres.
Parmi les nombreux participants du territoire algérien, il y avait MM. Abderrahmane Yacine, Mohammed Al-‘Aïd Âl-Khalîfa, Moufdî Zakaria et bien d’autres.
Les organisateurs du Congrès de Tlemcen, se comptaient parmi les animateurs des Cercles musulmans culturels tels Nâdî es-Sa’âda, Nâdî Al-Islâmî, Nâdî Ech-Chabîba, Nâdî er-Râjâ, l’Association des Oulémas et quelques notabilités de la Ville.
Les militants du Mouvement National assuraient la logistique d’hébergement, de restauration, et de prise en charge des invités.
Après l’ouverture du Congrès par Cheikh Al-Bachir Al-Ibrahîmî, la parole fût donnée au Maire de Tlemcen.
Mr. Valleur s’évertua avec éloquence dans sa langue à attirer l’attention des congressistes sur la non-faisabilité d’un Maghreb Uni et d’inviter les participants à visiter les ruines de Mansourah pour méditer sur l’Unité du Maghreb et sur le rôle de la présence de la France dans les pays de l’Afrique du Nord.
M. Allal Belahouène, qui assurait la traduction du français vers l’arabe, prit la parole dans la langue de M. le Maire pour décrier les effets de la colonisation française et rappeler ce que fût la civilisation du Maghreb au XIVème et XVème siècle en sciences, en commerce, et en tolérance, alors qu’en France se dressait une potence devant chaque église !
Puis le jeune Boumédiène Ech-Châf’î Moulessehoul, étudiant Azharî de Tlemcen, se leva et, en langue arabe, enflamma l’assistance à un point tel que les autorités de la ville décidèrent d’interdire l’utilisation de la Salle des Fêtes de Tlemcen pour la poursuite de la tenue du 5ème Congrès des Etudiants Nord-Africains Musulmans .
C’est alors que les militants de Nâdî Es-Sa’âda et du Nâdî Al-Islâmî offrirent leurs services pour la poursuite du Congrès dans leurs locaux
– Unité et Solidarité Maghrébine
– Généralisation et développement de l’enseignement en langue arabe dans les pays maghrébins
– Lutte contre l’ignorance, l’intolérance, et les fléaux sociaux
Parmi les Recommandations du 5ème Congrès des Etudiants Nord-Africains Musulmans tenu à Tlemcen du 6 au 10 Septembre 1935
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La langue arabe est la langue officielle des pays du Maghreb
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L’enseignement de la langue arabe est obligatoire dans les écoles primaires et secondaires
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Préparer les enseignants de la langue arabe en élevant leur niveau de formation
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Enseignement de la littérature arabe en parallèle à la littérature française dans le secondaire
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Préparer les programmes d’éducation nationale
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Libération de la femme et assurer sa formation
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Enseignement de l’Histoire du Maghreb et retour aux traditions et coutumes musulmanes
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Amélioration du statut des enseignants
Les recommandations étant rédigées, un des animateurs pédagogiques du Congrès, Cheikh Al-Hâdî es-Senoucî, s’est posé à haute voix la question de l’exécution de ces recommandations, en rappelant que l’Association des Oulémas avait discuté ces points et proposé ces solutions mais tous ses travaux sont restés « encre sur papier !»
Du fond de la Salle, une voix s’est élevée pour scander en toute assurance : « Eth-Thawra ! Eth-Thawra ! Eth-Thawra !».
Le jeune homme qui venait de proposer la solution était un étudiant à la Zeitouna, le Poète du Chant National Algérien, Moufdi Zakaria.
Il déclama ensuite un poème d’amour entre les trois pays du Maghreb intitulé : « Inna Al-Djazâir fil gharâmi wa Tounousa wal maghribal Aqsâ khouliqna sawâ »
La soirée fût enrichie par les interventions de Cheikh Bachir Al-Ibrâhimî, du Porfesseur ‘Othmân Al-Ka’âk et du jeune Boumédiène Ech-Châf’î Moulessehoul.
En parallèle, il fût célébré le premier anniversaire de la mort du grand poète tunisien Aboul-Qâcem Ech-Châbbî par des interventions de Moufdi Zakaria, Mohammed Al-‘Îd Âl-Khalîfa et d’autres poètes présents à ce Congrès.
Le poème de l’Association fût entonné à plusieurs reprises.
Il était de la composition de Moufdi Zakaria et de Moudjî Slîm :
« Hayyou Ifrîqiyyâ ! Hayyou Ifrîqiyyâ ! Hayyou Ifrîqiyyâ ! Yâ ‘Ibâd
Chamâlouna Yabghî al-Ittihâd – Achbâlouha Taebâ Al-Idtihâd
Ayna Roumâ wa Dahaha wa Isti’mâriha al-ladoud – Ayna Ispâniya wa ladhaha wa salîbiha al-Haqoud – Qad mazzaqna Aghlâlaha wa staqallat minha Al-Bilâd »
Tous les jeunes militants du Mouvement National de Tlemcen s’approchèrent de celui qui avait déjà acquis l’assurance de la Jeunesse destourienne et s’était engagé dans le Mouvement National Algérien dans le Parti de l’Etoile Nord-Africaine en adhérant pleinement à l’approche de son fondateur, Messali Hadj. Il ne tarissait pas de leur réciter les poèmes les plus célèbres sur l’Histoire de Tlemcen : Ibn-Khamis, Al-Quiçy, At-Talâliçy, Ibn-Khaldoun, Ibn-Merzouq…
On lui fit visiter les sites mentionnés dans ses poèmes.
Il aimait s’exclamer sur les espaces de Sidi ‘Abdallah d’Al-Baâl sur les Hauteurs Est de Tlemcen, et suivait du regard le parcours du Canal Saquiet Er-Roumî qui longeait les Jardins et Moulins de Tlemcen.
Parvis de la Poésie Moufdi ZAKAria
C’est là que fût inspiré la chant « Min Djibâlinâ Tala’a Sawtoul Ahrâr Younâdina »
C’est là que fût entonné pour la première fois, au mois de Ramadhan de 1937, le Premier Chant National : « Fidâ’ Al-Djazâir – Rouhi wa Mâlî – Alâ fî Sabîli Al-Hourriyya » avec son refrain celèbre « Ala fî Sabîli AL-Isyiqlâl – Ala fî Sabîli Al-Hourriyya » de la composition de Moufdi Zakaria, inspiré de l’Appel du 12 Novembre 1936 du Président du Parti du Peuple Algérien à la généreuse Nation Algérienne.
Il ne savait pas non plus que quarante années après, en juillet 1975, à l’occasion du IXème Séminaire sur la Pensée Islamique, il quittera à jamais son pays à partir de ces lieux, en composant un des plus beaux poèmes jamais scandé sur Tlemcen : « Amjâdounâ tatakallam » avec le refrain « Maghnâ Tilimsân Al-Amân Al-Amân – Fa Ayna Minnî Fîki Sihroul-Bayân – Mahmâ Samâ Ach-Chi’rou wa Mahma rtaqâ Fa Antî Fawqa Echi’rî Yâ Tilimsân – Ce poème est daté du 10 Juillet 1975.
Il l’avait déjà ébauché dans la première version de son « Illiade », mais là, il en fit le début d’une autre Illiade dont Tlemcen était l’épicentre.
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Si un jour la Ville de Tlemcen devait organiser des poésiades célébrant l’objet premier de son universalité, « le poème d’or » reviendrait certainement à Moufdi Zakaria pour son poème « Amdjâdouna tatakallam » que la Fondation Moufdi Zakaria a édité en pages 288-294 d’une anthologie de ses poèmes sous le même titre.
L’Association des Etudiants Nord-Africains Musulmans fût créée à Paris en fin 1927, soit une année après la création de l’Etoile Nord-Africaine.
Elle n’acceptait pas dans ses rangs les étudiants maghrébins nouvellement naturalisés français qui s’étaient désistés de leur statut personnel musulman.
Elle comptait parmi ses membres les étudiants maghrébins inscrits dans les Universités françaises puis les étudiants des Universités d’Az-Zeytouna et d’Es-Sadiqiyya de Tunis, d’Al-Quarawiyyine de Fès, de l’Université d’Alger et des Médersas Franco-Musulmanes d’Alger, de Constantine et de Tlemcen.
Le Premier Congrès de l’Association des Etudiants Nord-Africains Musulmans fût tenu à Tunis en 1931.
Le Second Congrès fût tenu en l’été 1932 à Alger.
Le Troisième Congrès fût tenu à Paris en décembre 1933 en lieu et place du Maroc, om sa tenue fût interdite.
La présence de Messali Hadj et de Allal El-Fassi à ce Congrès renforçait le poids de cette jeune asssociation dans l’évolution du problème de l’Unité Maghrébine en rapport avec l’Etoile Nord-Africaine
Le Quatrième Congrès s’est tenu à Tunis en 1934, où Moufdi Zakaria présenta son programme de l’Unité Nord-Africaine en 10 points.
Ce programme reste d’actualité pour les générations à venir.
Voilà que nous sommes en ce mois de Septembre 1935 à Tlemcen pour le Cinquième Congrès de l’Association des Etudiants Nord-Africains Musulmans.
Le Sixième Congrès, prévu au Maroc en 1936, fût interdit aussi
L’Histoire du Mouvement Etudiant Maghrébin contemporain venait de vivre une première séquence.
Elle nous a laissé d’abord ces poèmes cités çi-dessus qui peuvent enrichir le patrimoine culturel des enseignants de nos écoles, des animateurs de la jeunesse et des sports et des maisons de la culture à travers le territoire national.
Elle nous a laissé aussi le rêve intact de la construction d’un Maghreb Uni (MU), né avant la vision d’une Europe Unie (EU), qui elle s’est déjà construite.
Plusieurs séquences de transition vers la paix et la réconciliation restent à réaliser chez chacun des membres de ce (MU) pour retrouver le cours normal de la vision étoilée de la première inspiration fondatrice de ce projet.
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HISTOIRE Le Quotidien d’Oran Lundi 20 Septembre 2010 p.05
baghlim
salam alikoum, il faudrait penser à vivifier ces trésors et remplir ses lieux, la colonisation a fait perdre à l’Algerie ses repères, mais voila grace à vous et à d’autres on connait mieux l’histoire, la vraie, maintenant, il faut penser à Reconstruire humainement ces lieux
On comprend mieux pourquoi les scribouillards dits modernistes tournaient au ridicule l’année de la culture islamique dans la ville de Tlemcen.Ils préfèrent le jazz à Constantine.
Que dire de cet article qui ma veritablement scotchez … encore ?