Le système pédagogique
de l’Ecole de Musique Arabo Andalouse et Genres Dérivés de GHARNATA
M. Abderahim SEKKAL
C’est en 1975 que l’association artistique et musicale « GHARNATA » passa du statut de petit groupe, ne dépassant jamais 15 éléments, à celui d’ensemble de plusieurs dizaines de musiciens, à la faveur de la création de l’école de musique où les inscriptions d’élèves, dès l’âge de 8 ans affluèrent. C’est ainsi qu’il se forma au bout de quelques années trois paliers d’enseignement musical : élémentaire, moyen, supérieur (il y’a lieu de noter que, s’agissant d’une association et non d’un établissement public, la limite d’âge pour l’inscription n’est pas obligatoire. Des élèves de 10ans et plus peuvent être admis).
Bien que la méthode d’enseignement relève quasiment de pratiques empiriques, c’est-à-dire la transmission orale, elle n’en appréhende pas moins certaines techniques usitées dans l’enseignement moderne de la musique, notamment en ce qui concerne :
– L’accord des instruments (recours au diapason)
– La consistance des gammes (le parcours des notes à l’intérieur d’une octave)
– La valeur des notes (blanche=2 rondes, 4 noirs, 8 croches.)
– Le rôle et l’importance des rythmes (en tant que métronome d’une nouba)
– La construction du phrasé musical (savoir adapter sa respiration au discours musical et veiller à une bonne prononciation)
– L’équilibre instrumental et l’organisation orchestrale.
Les poésies chantées représentent un volet non moins important, dans la mesure où elles sont le témoin fidèle des sociétés et des époques qu’elles traversent. Elles constituent donc un ensemble culturel indissociable de la culture musicale et c’est à ce titre que des séances sont consacrées, tout au long du cursus musical, à la connaissance de ce corpus poétique, ses auteurs (lorsqu’ils ne sont pas anonymes), ainsi que ses structures architecturales et la thématique dans laquelle elles évoluent.
Le premier palier :
L’élève est instruit progressivement, sur les premières notions élémentaires de la musique, ses origines, sa place dans le contexte social et plus particulièrement sur la valeur des notes. Un programme est arrêté portant sur des séances d’articulation pour une prononciation saine des phonèmes constituant un support, en vue de la formation des premières phrases musicales jusqu’à obtention d’une chorale chantant à l’unisson. Les mélodies, pour ce faire, sont à chercher dans des exercices relativement simples.
Ces cours sont répartis à raison de 6 à 8 heures par semaine, aux jours non ouvrables ; ceci afin de préserver le calendrier scolaire de l’élève.
Le deuxième palier :
Il est constitué des élèves ayant accompli l’année du premier palier. L’enseignement dispensé s’articule sur :
– La connaissance des origines de la musique arabo-musulmane (avec plus de détail qu’au premier palier).
– Les principales figures qui ont marqué son parcours ;
– Les techniques vocales et instrumentales ;
– Le choix de l’instrument se fait selon le vœu de l’élève lorsque celui-ci présente de bonnes dispositions pour ce choix. Dans le cas contraire, le choix est orienté par le maître qui juge de l’opportunité de l’instrument que l’élève doit adopter.
– L’histoire de la Nouba et son évolution au Maghreb arabe, notamment en Algérie ;
– La classification des noubas par nature de mode ;
– L’encouragement de l’éclosion de voix nouvelles.
Le troisième palier :
Il représente le niveau supérieur de l’école de musique dont la somme de travail accumulée de deux ou plusieurs années aboutit à la formation de l’orchestre- type de l’association. Pour cela, plusieurs qualités doivent être réunies :
– Maitrise vocale et formation de bons solistes, ainsi que l’éclosion d’interprètes, en vue de carrière artistique.
– Maitrise instrumentale avec rigueur de l’accord tant individuel que collectif. A ce propos, il est souligné que les principaux instruments traditionnels utilisés en musique arabo-andalouse sont le REBAB, la KUITRA (peut-être l’ancêtre de la guitare), le LUTH, la FLUTE (qui, malheureusement, est absente aujourd’hui), les instruments à percussion que sont la DERBOUKA et le TAR (instrument voisin du tambourin ou tambour de Basque). D’autres instruments comme le VIOLON et la MANDOLINE ont été intégrés à l’orchestre et, parce que de sonorité riche et de timbre proche des instruments traditionnels, ajoutent donc à l’esthétique musicale,
– Cohésion de l’interprétation du chant en chœur.
Par ailleurs, des séances d’explication de textes des poèmes chantés puisés dans le patrimoine du MOUWACHAH ET ZADJAL, de QUASSIDATE, ainsi qu’un programme touchant aux genres dérivés de la musique arabo-andalouse, tels le Haouzi, le Aroubi, le panégyrique religieux et d’autres formes de poésies et mélodies du terroir, complètent la formation de l’élève.
Il est souligné que les fins d’années scolaires sont sanctionnées par des sorties champêtres, des représentations musicales et distribution de prix aux meilleurs élèves.
Musique arabo-andalouse (musique classique algérienne)
Modèle – type de Nouba (école de Tlemcen)
La Nouba est un ensemble de pièces musicales qui se suivent selon un ordonnancement de mélodies de mesures rythmiques allant crescendo, du plus lent au plus rapide jusqu’au final des poèmes chantés, pour se terminer enfin par une clôture de musique instrumentale qu’on appelle Touchia El Kamel.
Cet ordonnancement se présente comme suit :
1 –LA TOUICHIA (ouverture instrumentale).
Elle est précédée d’une Méchalia ou Tamrina. Celle-ci consiste en un ensemble de phrases musicales exécutées dans la gamme en question, mais sans assise rythmique. C’est une sorte de message adressé au public, comme pour l’informer du programme du concert (dans la tradition ancienne, il n’y avait pas de présentateur).Cette Méchalia ne dure que quelques minutes ; une fois terminée, s’ensuit alors la Touichia d’ouverture de la Nouba.
2 – LE M’CEDER :
Il s’agit de poème du genre Mouwachah ou Zadjal (comme pour la quasi-totalité des poèmes de la Nouba) chanté avec alternance instrumentale, dans un rythme lent, arborant un phrasé tout en arabesques, élevant la pièce musicale au summum de l’esthétique.
3 – LE B’TAYHI :
C’est un poème avec mélodie relativement moins majestueuse que le M’ceder, mais non moins envoutante. Il s’exécute sur un mouvement moins lent, avec alternance instrumentale.
4 – LE DARDJ :
Il s’agit d’une pièce chantée avec alternance instrumentale, de mouvement lent mais de structure rythmique différente des deux premières pièces.
5-LA TOUCHIA DES INSIRAFAT (pluriel de Insiraf)
Il s’agit d’une musique instrumentale qui annonce la deuxième grande partie de la nouba qui comporte un ou plusieurs Insirafat ainsi qu’un ou plusieurs Mokhlas.
6 – L’ INSIRAF :
C’est un poème chanté avec alternance instrumental, sur un rythme léger et de structure différente des pièces précédentes.
7 –LE MOKHLAS ( OU KHLAS) :
C’est un poème chanté avec alternance instrumentale sur une mesure rythmique identique à celle de l’Insiraf mais de tempo pus rapide.
8 – LA TOUICHIA EL KAMEL :
C’est une pièce de musique instrumentale qui annonce la fin de la Nouba ; elle ne dure que quelques minutes.
NB :
– Entre chacune des pièces chantées, un court morceau de musique instrumentale est exécuté pour annoncer la prochaine chanson ; cette pièce s’appelle Koursi (qui veut dire chaise en arabe) parce qu’elle permet au chanteurs de prendre du répit
– Une Nouba peut comporter une ou plusieurs pièces chantées, notamment plusieurs Insirafat et /ou plusieurs Mokhlas, selon la durée qu’on veut donner au concert.
– LE MOUWACHAH est un genre poétique qui fit son apparition en Andalousie musulmane vers le dixième siècle. D’une structure architecturale différente de la poésie arabe classique dont la composition est à rime unique, le Mouwachah utilise plusieurs rimes dans un même poème.
– LE ZADJAL, postérieur au Mouwachah, est un genre poétique de structure architecturale identique au Mouwachah mais la langue utilisée est un mélange d’arabe classique et d’arabe dialectal andalou (Juan VERNET consacre une étude intéressante à ce sujet dans son livre la « Cultura Hispanoarabe en Oriente y Occidente » -traduit en français par Gabriel Martines Gros sous le titre « Ce que la culture doit au arabes d’Espagne ».
– L’ISTIKHBAR c’est un chant individuel (ou solo), avec alternance instrumentale. le chanteur doit faire montre d’une maitrise vocale exceptionnelle. C’est une pièce qui s’exécute soit avant le premier Insiraf soit entre deux Insirafat.
Article dont on ne peut se passer, à lire à tout prix